J'ai commencé à en voir certains régulièrement. Une sorte de «maillage» s'est mis en place : on se connaissait mieux, nos activités, nos parents, nos enfants, nos amis, on s’enquérait de nos vies, de l’évolution de nos mondes. Mais sans y introduire personne d'autre. Toujours juste lui et moi. Notre univers. Notre relation. Pure dans le lieu et dans le moment. Cependant et malgré nous, tout au long de nos rencontres ces vies ont commencé à s'entremêler. Je me suis demandée si à un moment donné ce maillage pourrait nous amener à nous maintenir unis, plus que notre envie spontanée de nous réunir, ou bien si, si nous continuions à nous investir toujours plus l’un vers l’autre, ce maillage pourrait prendre la place de ces envies, comme remplissant notre relation au-delà de l’attraction jusqu’à finir par la constituer per sé… En quelque sorte il nous rassurait, il constituait un lien qui nous protégeait de la crainte que si l’émotion qui animait nos rencontres venait à se faner, il ne resterait plus rien. C'était tout l’enjeu : continuer à faire vivre le jeu : maintenir l'émotion en équilibre, donc en danger, rester dans l'intensité du moment sans le lier ou le sécuriser à quoi que ce soit. C’était ce qui en définissait l'intensité, car il ne pouvait pas être projeté, dilué, dispersé, dans un futur hypothétique. Il m'a fallu un certain temps pour comprendre cela. Parfois j'étais frustrée, de peur de perdre. Mais comme le dit l’adage, la peur ne protège pas de la mort, elle protège de la vie…
Petit à petit, je tentais de ramener uniquement à l’instant présent ces moments que je passais avec lui, les arrachant à la projection du désir. Petit à petit, je rassemblais tout l'amour que je ressentais pour une personne à ce moment-là, et je le laissait s’approfondir, m’efforçant de ne pas le laisser s’échapper vers l'avant. Tu ne t’es jamais demandé si le temps n'avait peut-être pas trois dimensions au lieu de deux ? Le passé, le futur et la profondeur ?